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Le labour : comment l’homme a transformé sa manière de cultiver

De Christophe RADIERE  - Inspecteur Technique

Un geste ancestral qui a façonné notre rapport à la terre

Tout au long de son évolution l’homme a cherché à évoluer dans ses pratiques afin d’améliorer sa vie. L’une des grandes étapes de sa vie a été de se sédentariser puis de cultiver en plus de cueillir pour se nourrir. Pour cela, Il n’a cessé d’imaginer des solutions pour améliorer la production de denrées grâce aux techniques de travail de la terre.

Parmi ces actions millénaires, le labour occupe une place essentielle. Né avec l’agriculture il y a plusieurs milliers d’années, il a permis de nourrir des civilisations entières et de transformer durablement nos paysages.

Cette action culturale a pour effet d'ameublir le sol et de le préparer à recevoir le semis. Il permet également d'enfouir les résidus des cultures précédentes, les mauvaises herbes et le fumier. Néanmoins cela accélère la minéralisation de la matière organique par l’augmentation la température et l’incorporation d’oxygène dans le sol.

Les deux techniques de labour utilisées

Il existe deux techniques de labour. La première est le labour en planche. Cette méthode est utilisée depuis la création des charrues, qui n’étaient pas réversibles. Cette technique implique de commencer la parcelle en son centre, labour en planche en adossant, ou par les extérieurs pour un labour en planche en refendant. Le chauffeur doit donc tourner jusqu’à ce que le champ soit terminé, et les trajets en fourrière (ou tournière) augmentent à chaque tour. Ce labour, est très utilisé en terrains humides, car il laisse une rigole entre chaque planche pour permettre de canaliser l’eau en excès lors de fortes pluies.

La seconde technique est le labour à plat. Cette méthode est arrivée plus tard, avec la création des charrues réversibles, équipées d’un second jeu de corps de labour montés en sens inverse des premiers. Les parcelles sont alors commencées d’un côté, pour se terminer de l’autre. Ces machines permettent de réduire les trajets de reprise car les bandes sont retournées toujours dans le même sens.

Au début, il s’agissait de charrues bascule, utilisées en aller et retour grâce à un basculement avant/arrière de la machine. L’évolution technique cherchant constamment à faciliter le travail des agriculteurs, a conduit les constructeurs à développer les charrues réversibles à ¼ de tour et à corps opposés, telles que nous les connaissons aujourd’hui. Ces machines permettent de travailler en aller-retour mais en ne basculant qu’une partie de la charrue. La partie porteuse ainsi que celle reliant l’outil à la source de traction, qu’elle soit animale ou mécanique, conservaient leur position. Avec le développement des tracteurs agricoles, dotés de systèmes de commandes plus puissant tel que l’hydraulique, l’utilisation des charrues réversibles est devenue plus simple. Les modèles ¼ de tours ont d’abord connu un grand succès, car ils utilisaient un système moins complexe et moins couteux que les valves de retournement à séquence, apparues plus tard, des charrues réversibles modernes. L’effort nécessaire pour le retournement de la machine en bout de champ a ainsi été transférer de l’homme vers la machine pour d’avantage de confort et de productivité.

Mais comment ce geste si simple, retourner la terre, a-t-il pu améliorer à ce point notre manière de cultiver ?

Le labour pendant la Préhistoire et en Mésopotamie

Les débuts : quand l’homme apprend à travailler la terre

 

Tout commence il y a environ 10 000 ans, au Néolithique.
Les premiers agriculteurs, devenus sédentaires, commencent à travailler la terre grâce à des prémices de la charrue actuelle, appelés bâtons à fouir, houes ou bêches en pierre.
Leurs objectifs étaient de pouvoir éliminer une partie des herbes en surface mais surtout d’ameublir la terre pour y implanter les graines à semer et favoriser leur croissance et réduire la concurrence vis-à-vis des autres plantes non désirables. C’est le début d’une révolution silencieuse ou l’homme n’attend plus la nature pour vivre, il agit sur elle : Il cultive.

C’est vers 4000 avant JC, en Mésopotamie et en Égypte que l’homme découvre qu’il peut s’aider de la traction animale pour travailler plus efficacement et gagner du temps.
Il invente alors l’araire, un outil en bois tiré par des bœufs.

Ce simple ajout change tout : le labour devient plus profond, jusqu'à 10 cm, mais également plus régulier, et les surfaces cultivées augmentent permettant ainsi d’accroitre la production pour nourrir les Hommes.

La charrue à versoir : l’Europe médiévale en pleine transformation

L’étape suivante de la révolution agricole européenne intervient au Moyen Âge avec la naissance de la charrue à versoir. Cet outil se dote alors d’un soc en fer, à la place du bois utilisé jusque-là, et d’une planche courbe lui permettant ainsi de retourner plus efficacement la terre en profondeur.

L’enfouissement des mauvaises herbes et l’aération du sol en deviens plus efficace. Ces charrues permettaient de cultiver plus profondément et plus facilement les sols argileux du nord de l’Europe grâce à la traction animale des chevaux ou des bœufs. Les profondeurs de travail à l’époque sont d’environ 10 à 15 cm en sol léger sableux, et jusqu'à 20 à 25 cm en sol profond argileux et humide. Cette action de travail du sol permet de gagner environ 30% de production pour nourrir les villages et la population qui est en pleine croissance.

Le labour devient alors le symbole du travail paysan le faisant évoluer vers une première forme d’agriculture extensive. : c’est un geste régulier, rythmé par les saisons, au cœur de la vie rurale.

L’ère industrielle : du cheval au tracteur

Le début de la mécanisation Agricole apparait durant les 18ème et 19ème siècles.
Les charrues sont désormais faites de métal, et la traction animale est progressivement remplacée par les machines à vapeur, puis les premiers tracteurs au début du XXe siècle.
 

C’est en 1882 que Ole Gabriel Kverneland expose, à Stavanger en Norvège, la première charrue qu’il a créé à la forge familiale fondée 3 ans plus tôt dans le petit village de Kverneland. Cette machine fut créée pour répondre efficacement aux besoins en machinerie des agriculteurs qui travaillent les terres dures et pierreuses de ce pays nordique. Il se spécialisa dans la production de charrues, herses, faux et faucilles, mais la charrue sera très rapidement le produit majeur du chiffre d’affaires de O.G. Kverneland Fabriken Norvège.

Très vite, la production d’outils augmentera pour suivre l’évolution de la mécanisation agricole, et c’est en 1928 que Ole Gabriel Kverneland présentera la première charrue tractée pour tracteur agricole. Cette machine était munie de roues pour maintenir la charrue et les commandes accessibles depuis le poste de conduite, évitant ainsi à l’utilisateur de marcher derrière la machine pour la manœuvrer. L’entreprise fabriquera par la suite Les premières charrues portées sur relevage 3 points de la marque à partir de 1947. Grâce à son procédé unique de traitement des aciers, Kverneland a ainsi pu créer des machines plus grandes, plus légères mais toujours aussi résistantes, réduisant le poids important des machines.

Ce point technique fait encore aujourd’hui de Kverneland, l’un des constructeurs le plus en avance en termes de résistance des aciers et de légèreté sur le marché mondial.

Toutes les charrues de cette époque étaient assemblées de manière rigide. Mais, comme écrit plus haut, les terres de Norvège sont des terrains durs, munis de nombreux rocs. L’évolution de la mécanisation a donc permis l’augmentation des zones cultivées mais ces terrains sont plus durs, et les machines sont donc mise à plus rude épreuve.

Afin de répondre aux besoins de fiabilisation des agriculteurs, Kverneland développa pour ses charrues en 1967, la première sécurité Non-Stop mécanique à lame de ressort au monde. Ce système de sécurité encore à ce jour connu et reconnu pour sa durabilité et sa facilité d’utilisation et d’entretien est toujours utilisé sur les charrues actuelles et autres outils de sol de la marque. Ce système ingénieux est une sécurité qui permet au corps de labour de s’extraire du sol en cas de contact avec un roc, sans pour autant contraindre le restant de la charrue et sans avoir de pièces à remplacer ou à ré-armer pour continuer le travail. Ce système à lames de ressort agit par décompression, c’est-à-dire que plus le corps de labour se soulève pour passer le roc, moins il y a de contraintes dans le châssis.

Quelques années plus tard, en 1971, les tracteurs agricoles étant devenus plus performants au niveau du relevage, Kverneland lança la première charrue Non-Stop réversible du marché, offrant une gamme complète de charrue à sécurité à boulon ou Non-Stop. Ces deux types de charrues permettent de réaliser des labours en planche, pour les machines dites conventionnelles, ou à plat, pour les charrues réversibles. A ce jour, la solution la plus utilisée est le labour à plat, permettant de minimiser les manœuvres en bout de parcelle en reprenant à côté du passage précédemment réalisé.

C’est également à cette époque que les systèmes hydrauliques des tracteurs se sont perfectionnés. Kverneland, acteur majeur dans la production de charrues, continue ses développements en inventant en 1981 le système encore utilisé à ce jour : le Variomat®, plus communément appelé Varilarge®. Ce système innovant permet à l’utilisateur de faire varier la largeur de travail de chaque corps de labour de la machine de manière synchronisée. Cette variation de largeur permet d’adapter le travail aux conditions de sol, et de corriger une ligne vis-à-vis d’un bord de parcelle ou d’un obstacle présent.

Grâce à toutes ces évolutions sur les machines, le labour des parcelles devient plus facile à réaliser pour les utilisateurs, plus rapide et plus profond (jusque 35 cm par endroit).
Il accompagne la modernisation des campagnes et l’expansion de la production agricole mondiale en continuant à augmenter les rendements pour assurer une sécurité alimentaire à la population.

Malheureusement, cette intensification ne fut, par endroit, pas sans conséquences sur le paysage agricole. Le film « The Dust Bowl » raconte le désastre écologique qu’on subit les habitants des zones arides américaines des régions du Texas, du Kansas et de l’Oklahoma, dans les années 1930. Durant cette longue période de sécheresse, et à cause de la mécanisation et du travail intensif des grandes plaines de prairies présentes à l’époque, il se créa un énorme phénomène d’érosion des sols, de perte d’humus, de dépendance énergétique... Le progrès technique ayant permis une amélioration des conditions des travail et également une sécurité alimentaire, a également amené de nouveaux défis pour le futur de l’agriculture.

Aujourd’hui : vers un nouveau rapport à la terre

Depuis la fin du XXème siècle, les agriculteurs et les chercheurs s’interrogent sur l’utilisation du labour. Doit-il être utilisé tous les ans ou occasionnellement, quel est l’impact de la profondeur de labour sur la vie du sol, quelles sont les conséquences sur la désorganisation des couches horizontales du sol ? Il se développe également, grâce à l’évolution des techniques industrielles et du matériel, d’autres pratiques telles que les Techniques Culturales Simplifiées, les techniques de fissuration, ayant pour grand intérêt d’ameublir le sol tout en conservant des points fermes pour le passage des engins et cela sans bouleverser les horizons du sol, le semis direct et l’agriculture de conservation permettant de protéger le sol et la vie qu’il contient par une couverture permanente toute l’année grâce aux résidus de culture et aux couverts qui sont implantés.

Les agriculteurs d’aujourd’hui, sont soucieux de préserver leur outil de travail principal qui est le sol. Ils souhaitent préserver la vie qui y est présente et sa structure naturelle.
Le labour n’est plus systématique, et devient de plus en plus agronomique par une réduction de la profondeur de celui-ci, permettant de réduire la dilution de la matière organique. Ils sont également d’autant plus vigilants en laissant les résidus plus en surface pour améliorer leur efficience dans le sol. Le labour est devenu une décision réfléchie et non systématique, adaptée aux besoins du sol et du climat.

Fort de son savoir-faire dans le traitement des aciers, permettant de gagner en légèreté des outils, et de la volonté des utilisateurs d’optimiser leur travail, Kverneland lance sur le marché en 1992, un outil unique en son genre : le Packomat. Ce nouvel équipement, permet de réaliser en un seul passage les travaux de labour et de reconsolidation du sol tout en facilitant grandement les manœuvres par sa liaison directe intégrée au châssis de la charrue. Ce rouleau latéral, conçu avec des disques en acier, rappuie le sol directement après le labour, se servant du poids de la charrue pour générer un tassement idéal et limiter l’évaporation de l’humidité du sol. Il peut également être équipé de herses assurant une découpe des bandes de terres dures et un nivellement parfait en un seul passage. Ainsi, l’agriculteur en un seul passage et sans consommation de carburant supplémentaire ajoute à l’action de désherbage mécanique du labour, une reconsolidation du sol contribuant à réduire l’érosion.

En 2002, ses connaissances sur le labour n’étant plus à démontrer, Kverneland s’oriente sur le développement de techniques plus agronomiques et développe l’Ecomat. C’est une charrue déchaumeuse, capable de réaliser un travail d’enfouissement léger, avec une profondeur jusqu'à 18cm, permettant de coller aux demandes de labours plus respectueux des sols.

En parallèle des évolutions technologiques du monde agricole, avec l’arrivée des fortes puissances des tracteurs pour les grandes exploitations et des systèmes de guidage par du GPS, Kverneland développe également des systèmes très innovants de charrues. L’une des premières réponses proposées en 2007 aux clients est la charrue semi-portée 3 en 1 des gammes PW et RW. Cette gamme proposent aux clients de travaillé avec 3 machines en une. Lorsque les conditions le permettent, la charrue est utilisée en intégralité avec une partie avant et arrière. La partie arrière peut par la suite être décrochée pour être utilisée en solo dans les plus petites parcelles alors que la partie avant peut être utilisée seule sur un autre tracteur.

Une seconde réponse proposée en 2015 permettant aux agriculteurs de faciliter l’utilisation des charrues par les clients est présentée avec la charrue 2501 S i-Plough ISOBUS. Cette nouvelle gamme de charrues permet de réaliser la majorité des réglages via la console du tracteur, et dispose également d’une nouvelle solution de transport, le système Trailer Transport Solution (TTS). Sur la route, cette solution évite le déport de la machine vers l’extérieur du virage et réduit fortement les accrochages des éléments extérieurs, gage de sécurité au transport.

Conclusion : un geste millénaire en pleine mutation

Aujourd’hui, cultiver, ce n’est plus seulement produire : c’est aussi préserver. Le geste ancestral du labour se transforme à nouveau pour répondre aux défis écologiques de notre époque. Du bâton à fouir des premiers paysans à la charrue moderne, le labour raconte l’histoire de l’homme et de la terre. Il symbolise à la fois le progrès agricole et la recherche d’équilibre entre productivité et respect de la nature.

Et si, demain, cultiver signifiait avant tout écouter la terre plutôt que la retourner ?